La grande fracture du recrutement

« Pourquoi les règles du recrutement ont changé (et pourquoi votre méthode ne suffit plus) »

L'un des grand défi pour les années à venir ne sera pas de trouver des talents, mais plutôt de définir clairement le pacte qu'on leur propose. 

Vous avez peut-être vu passer ces phrases chocs d'Alexandr Wang, le prodige de l'IA derrière ScaleAI et aujourd'hui chez Meta : « Il n'y a pas de futur pour nous si nos employés ne sont pas obsédés par notre mission ». 

Réaction à chaud ?

On peut trouver ça brutal, voire déconnecté. Mais si on prend un peu de recul, on voit que ce n'est pas juste une provocation. C'est le manifeste d'une vision du travail qui gagne du terrain : celle de l'intensité absolue.

Le problème, c'est que cette vision percute de plein fouet une attente diamétralement opposée, portée par une majorité de collaborateurs et candidats : le besoin vital d'équilibre, de déconnexion et d'un travail qui a du sens au-delà de la performance pure.

 Bienvenue dans le grand écart de 2025. Recruter aujourd'hui, c'est naviguer au cœur de cette fracture. Alors, comment faire ?

 


➤ D'un côté du ring : l'appel de l'intensité totale

Pour comprendre la logique de Wang, il faut regarder où il opère. Dans la course mondiale à l'IA, la compétition est féroce. L'innovation n'est pas un objectif, c'est une question de survie. Dans cette arène, la mentalité, c'est celle du "commando" : on ne compte pas ses heures, on est dévoué à la mission, on vit et on respire pour le projet.

Cette approche recherche un profil bien précis : le "builder", "l'obsédé". Quelqu'un pour qui le travail n'est pas une partie mais le centre de sa vie. C'est une sorte de religion du travail, où l'on se donne entièrement à une cause plus grande que soi : la révolution technologique.

C'est grisant, mais c'est aussi un pacte avec le feu. Le paradoxe, et il est de taille, c'est que cette course à l'épuisement est souvent contre-productive. Les neurosciences nous le confirment : la créativité, l'étincelle qui mène aux vraies innovations, naît dans les moments de repos, quand le cerveau a le temps de vagabonder et de créer des connexions inattendues. En voulant presser le citron jusqu'à la dernière goutte, on risque de tuer dans l'œuf l'innovation de demain.

 


➤ VS l'exigence d'un travail qui nous veut du bien

En face, la résistance s'organise. Ce qui se passe en France est un signal faible devenu assourdissant pour le reste du monde. Oui, les Français déclarent que le travail est très important pour eux (plus que leurs voisins européens !). Mais demandez-leur de choisir entre une augmentation et plus de temps libre, et une majorité choisira le temps.

Ce n'est pas de la paresse, c'est une hiérarchie des valeurs qui a changé. Et les chiffres du désenchantement le prouvent :

➤ Seuls 2 salariés sur 10 se sentent vraiment épanouis.
  • ➤ 1 sur 3 est prêt à claquer la porte pour un meilleur équilibre.
  • ➤ Près de la moitié (46 %) se sentent si peu reconnus qu'ils n'attendent qu'un signe pour aller voir ailleurs.

 

Le "quiet quitting" ? C’est souvent une façon, pour certains salariés, de fixer des limites saines. Pas de désengagement total, mais un recentrage sur le contrat de base : ce pour quoi ils sont payés, ni plus ni moins. La valeur travail est remise à sa juste place.

Ce comportement en dit autant sur les individus que sur le contexte. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) le souligne justement : le management cocorico demeure encore trop vertical, centralisé et peu responsabilisant, ce qui freine l’autonomie et la motivation des collaborateurs. En France, seuls 7 % des salariés se disent engagés.

 


💡 Le vrai sujet n'est pas le temps, mais le sens

Au milieu de ce chaos, tout le monde brandit un mot magique : le "sens". Mais attention au piège. Le sens, ce n'est pas un beau slogan sur un mur ou une mission "pour changer le monde". Pour vos équipes, en 2025, le sens est beaucoup plus concret. Il repose sur quatre piliers.

  1. Être payé correctement. La base.
  2. Sentir que l'on progresse. C'est le point le plus critique. 64 % des salariés français disent que leur entreprise ne leur a jamais proposé de formation technique pour évoluer. Le message envoyé est glacial : "Tu es utile maintenant, mais ton futur ne nous intéresse pas". Comment demander un engagement total quand on n'investit pas en retour ?
  3. Avoir son mot à dire. L'autonomie et la possibilité de peser sur les décisions.
  4. Travailler sans masque. L'authenticité. Que les actions du management soient alignées avec les belles paroles.

Le modèle de l'intensité se casse les dents s'il pense que la mission suffit. Le modèle de l'équilibre se vide de sa substance s'il n'offre que du temps sans perspectives.

 


2025 : l'heure du choix stratégique

On fait quoi, concrètement, quand on est un recruteur pris dans ce grand écart ?

 Tenter de plaire aux deux camps est le meilleur moyen d'échouer. Votre rôle, en tant que leader, est de faire un choix clair et de construire un pacte de cohérence. Trois voies s'offrent à vous :

  1. Le pacte de l'intensité. C'est le choix de la franchise radicale. "Ici, c'est dur, on attend de vous un dévouement total, mais vous serez au cœur du réacteur". Vous attirerez une niche de talents qui carburent à l'adrénaline. C'est un pari, mais il est clair.

  2. Le pacte de la soutenabilité. C'est le choix de l'investissement humain. "Ici, on respecte votre équilibre, et surtout, on s'engage à vous faire grandir". C'est ce que la majorité des talents recherche, mais cela exige une culture managériale impeccable et un vrai budget formation.

  3. Le pacte de la performance durable. La voie la plus fine. Elle consiste à voir le bien-être non pas comme l'ennemi de la performance, mais comme son carburant. C'est là que des initiatives comme la semaine de 4 jours prennent tout leur sens : non pas comme un "cadeau", mais comme un outil stratégique pour travailler mieux, de manière plus concentrée, et durer plus longtemps.

La vraie question que vous devez vous poser n'est pas "comment attirer les meilleurs ?", mais "quel pacte suis-je prêt à offrir et à tenir dans la durée ?"

 


Les recruteurs aux premières loges de cette fracture

Notre quotidien confirme que le recrutement a définitivement dépassé la simple validation de compétences. Pour nous, l'enjeu n'est plus seulement de "matcher" un CV avec une fiche de poste, mais de décrypter l'ADN d'une entreprise, son fameux "pacte", pour le faire résonner avec les aspirations profondes et parfois non-dites des candidats.

Concrètement, cela impacte notre métier à deux niveaux.

➤ D'abord, notre technologie doit être plus intelligente : au-delà des mots-clés, elle doit nous aider à identifier les signaux d'une compatibilité de valeurs et de vision du travail.

➤ Ensuite, notre rôle de conseil devient primordial. Nous aidons nos clients à définir et à formuler cette promesse de manière claire et authentique, pour ensuite la présenter de façon transparente aux talents qui s'y reconnaîtront vraiment.

Notre objectif, ce n'est plus de simplement "placer" un candidat, mais de bâtir des collaborations durables, où les promesses sont tenues et chaque partie est satisfaite.

 

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